Plan du cours
Quelques citations peuplant le présent cours...
"Les idées, justes ou fausses, des philosophes de l'économie et de la politique ont plus d'importance qu'on ne le pense en général. À vrai dire, le monde est presque exclusivement mené par elles. Les hommes d'action qui se croient parfaitement affranchis des influences doctrinales sont d'ordinaire les esclaves de quelque économiste passé".
John
Maynard KEYNES Théorie
Générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie
"...l'économie vulgaire qui se contente des apparences [...] et se borne
à ériger pédantesquement en système et à proclamer comme vérités
éternelles les illusions dont le bourgeois aime à peupler son monde à lui, le
meilleur des mondes possibles."
K. MARX Le Capital livre 1 ( 1867 ) Ed.
Sociales 1971
"La possibilité de gagner de l'argent et de constituer une fortune peut canaliser certains penchants dangereux de la nature humaine dans une voie où ils sont relativement inoffensifs".
B. DE MANDEVILLE
"Il vaut mieux que l'homme exerce son despotisme sur son compte en banque que sur ses concitoyens"
J-M. KEYNES
Cours
Depuis 1989, et la chute du mur de Berlin, les experts et autres
essayistes, ont annoncé "l'arrivée
du monde à la fin de l'histoire" ( F. FUKUYAMA mais
on sait qu'il s'en est amendé depuis... ) ou "la fin des idéologies". Cette ère nouvelle, n'est en fait que
le triomphe d'une "idéologie" ( au sens de Louis DUMONT ) vieille de plusieurs siècles se
dénommant libéralisme et de ses produits économiques que sont la loi du
Marché ( stylisé ) et la rationalité. Cette idéologie ( se
basant sur le modèle d'un Marché virtuel parfait pour ce qui est de sa théorie majeure ) perçoit la société comme
un ensemble d'agents libres et rationnels dont les activités vont être
coordonnées grâce au Marché pour aboutir à un optimum
économique ( meilleure situation possible ).
Il
conviendra donc de disséquer celle-ci comme un édifice théorique. Seront
mises en lumière, dans un premier temps, ses bases ( philosophiques et autres ),
suivra le cœur essentiel de la théorie, à savoir le modèle d'Equilibre
Economique Général ( EEG ) de L.
WALRAS, et
finalement ce qui couronne l'édifice, son aboutissement c'est à dire son
emprise sur la réalité via les conseils d'éminents "experts".
KANT
"Les pensées sans contenus sont vides, de même que les intuitions sans
concepts sont aveugles".
I.
La conception du
monde libérale
En prémisse à tout raisonnement, il convient de préciser que le discours économique, tout comme le discours religieux ou social, en tant que discours pensé, s'appuie sur des hypothèses bien précises, qui relèvent le plus souvent de l'ordre de la conception métaphysique du monde ( Weltanschauung ), véritable base de la réflexion ( cf. cours sur la culture ).
On peut se rappeler que nombre de grandes théories économiques sont sorties de la tête de philosophes [1] ou du moins de personnages dont les pôles d'intérêts ne se limitaient pas exclusivement à l'économie ( au sens où on l'entend à l'heure actuelle ), loin s'en faut [2].
On procédera ici à une rationalisation a posteriori du discours libéral pour en dégager la structure logique.
La pensée libérale qui touche l'ensemble des
domaines de la vie sociale ( politique, économie, droit…) se comprend par 4
maîtres-mots : Raison, Nature, Individu,
Propriété.
NB : cette liste n'est pas exhaustive et procède par un
évident souci de simplification dans l'optique d'un cours de première. Il est
aisément concevable que le libéralisme affiché par "les autrichiens" n'a de
fait, que peu de choses à voir avec le "rationalisme constructiviste"
( dixit HAYEK ) d'un WALRAS. Le socle philosophique libéral sert donc de
base à différentes écoles économiques ( classique, néoclassique, économie
de l'offre, libertariens de gauche, de droite...(
cf. infra )). Le doute n'est
plus permis à la lecture du livre très didactique de F. VERGARA
Les fondements philosophiques
du libéralisme La Découverte 2002.
Pour
approfondir l'analyse sur le sujet...
.... on peut reprendre la très intéressante
grille d'analyse mise en avant par F. VERGARA
( Les fondements philosophiques
du libéralisme La Découverte 2002 ). En
effet, dans cet ouvrage l'auteur série les doctrines prenant le nom de
libéralisme en 3 parties distinctes :
- le libéralisme utilitariste d'Adam SMITH ou de J. BENTHAM...
- le libéralisme de Droit naturel de TURGOT, CONDORCET.
- l'ultra-libéralisme d'un M. FRIEDMAN, F. HAYEK, F. BASTIAT, H.
SPENCER...
Lors de la présente étude, on focalisera principalement l'attention sur le modèle central de la théorie économique libérale à savoir la théorie de l'équilibre économique général de L. WALRAS.
La théorie libérale s'appuie sur les hypothèses forces suivantes ( notées H1, H2, H3, H4 dans le texte, ce qui servira par la suite à faire des renvois ).
Hypothèse
1 ( H1 ). L'idée d'individu, d'autorité de
la seule conscience personnelle. L'individu est un absolu qui possède en lui les caractères de
l'universalité
et de l'unicité. Dès lors, la société est un résultat, un produit et non un
fondement ; l'individu est toujours antécédent à l'Etat dans sa consistance
unique et métaphysique. On retrouve ici les bases de l'individualisme méthodologique
[3]
( cf.
chapitre sur la méthode sociologique ).
Quelques références sur le sujet :
Pour
pousser plus loin la réflexion sur l'individualisme, héritage chrétien
( Evangile selon St Marc, St Augustin, Réforme...), dont la pensée grecque a
toutefois permis en partie l'invention ( Cf. PLATON ), consulter les livres suivants
:
- L. DUMONT Essais sur l'individualisme (
1983 ) Points seuil 1991
- J-C GUILLEBEAUD chap 7 : "Le "moi" en quête
de "nous"" La refondation du monde (
1999 ) Points Seuil 2000
"Au lieu d'aller dehors, rentre en toi-même ; c'est au coeur de l'homme
qu'habite la Vérité"
Evêque d'HIPPONE cité par J-C
GUILLEBEAUD [ 1999 ] p. 295.
H
2. La
foi en
la Raison.
Pour les libéraux, l'homme, est un "animal
raisonnable", et c'est dans cette Raison qu'il découvre les lois de sa
liberté. Mais
cette raison individuelle est elle-même finalisée en vue de conquérir la
nature : l'univers étant le symbole même de l'harmonie, il est par conséquent
du "devoir" de l'homme de retrouver par la raison, "les lois naturelles"
qui gouvernent le monde et d'en édicter les règles
[4]
(
Cf. infra
fascination des néoclassiques pour la mécanique newtonienne et en particulier
pour la figure de
l'horloge ).
La souveraineté de la
Raison est le moyen et le but pour l'homme en vue d'accéder au "bonheur".
H
3. Un optimisme irréductible placé dans
le progrès, la science et la nature.
L'idée
centrale du libéralisme consiste à introduire la notion de perfectibilité :
la raison peut par son seul pouvoir, faire progresser dans l'ordre de la
connaissance et de l'action. Dans cette optique, on aboutit à une vision linéaire
de l'histoire où "tout rationalisme est un progressisme".
L'appareillage mathématique, depuis DESCARTES apparaît ainsi comme le moyen
privilégié d'expression de la pensée raisonnante
puisque pour ce dernier, les sciences en règle générale, doivent nous
conduire sur les voies de la vérité universelle,... unique,...
donc par extrapolation... optimale ?! [5].
H 4. La jouissance de la propriété privée. Celle-ci est considérée comme un fondement de base de l'entité individuelle : on peut se référer ici à la révolution française et en particulier à l'analyse de THOURET ( début d'Août 1789 ) "le premier droit de l'homme est celui de la propriété et de la liberté de sa personne" ou à la thèse de J. LOCKE dans le Deuxième traité du gouvernement civil ( 1690 ) qui reconnaît à la propriété un caractère "naturel". Sa démonstration est la suivante : l'homme est propriétaire de sa propre personne, par conséquent, de son travail, des produits de son travail et donc de la terre qu'il cultive."La superficie de terre qu'un homme travaille, plante, améliore, cultive et dont il peut utiliser les produits, voilà sa propriété".
Ces quelques grands traits vont constituer les nervures des constructions libérales qui se sont imposées tout au long de l'Histoire.
B. Le retournement libéral
( "grands anciens" de la
pensée libérale en économie et moments décisifs ).
La conception libérale ( qui postule que le libre fonctionnement des mécanismes du Marché permet seul de se rapprocher de la meilleure situation possible ) remonte en économie par certains aspects, à des auteurs tels que P. de BOISGUILBERT ( 1646-1714 ) réclamant la liberté des prix et marchés, ou aux physiocrates ( 18ème siècle ). Cependant si l'on attribue à ces derniers la paternité de l'idée de laisser faire, avec la fameuse phrase attribuée par l'Histoire à Vincent de GOURNAY ( 1712-1759 ) "laisser faire, laisser aller" [5 bis], en revanche selon K. POLANYI, le libéralisme a du attendre les classiques anglais, en particulier A. SMITH ( 1723-1790 cf. Adam Smith Institute, Adam Smith web site ) pour prendre son essor véritable, avec l'idée centrale d'une société organisée par et à travers le Marché.
En effet, SMITH développe une vision "théiste" ( dixit KEYNES ), selon laquelle une Main invisible [5-3 ] viendra réguler sur le Marché les actions individuelles de tout quidam mu par la recherche son intérêt propre ( "Ce n'est pas de la bienveillance du boucher, du brasseur ou du boulanger que nous attendons notre dîner, mais de l'attention qu'ils portent à leur propre intérêt". Richesse des Nations Livre 1 Chapitre 2 ) pour en faire résulter une situation bénéfique pour tous.
La
morale que l'on peut tirer de la thèse de SMITH est surprenante :
- nos actions nous échappent dans leur conséquence sociale.
- encore plus que
nos proches, nous font du bien, tous ces inconnus ces "autres", que nous
croiserons jamais et qui pourtant, travaillent, sans le vouloir, sans même le savoir,
à satisfaire nos besoins parce que cela correspond à leur intérêt propre.
et éclairage sur les soubassements de la pensée libérale
Les théories libérales sont-elles aussi "candides" qu'elles en ont l'air ???
Dans Candide de Voltaire, maître Pangloss affirme que "tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles". Cette critique de LEIBNIZ ( on connaît l'importance de la monadologie leibnizienne et de la théodicée dans les sources de la thèse libérale cf. A. RENAUT ) par VOLTAIRE est-elle applicable au modèle libéral ?
Dans le même registre, on retrouvera plus tard la phrase de MARX...
"...l'économie vulgaire qui se contente des apparences [...] et se borne
à ériger pédantesquement en système et à proclamer comme vérités
éternelles les illusions dont le bourgeois aime à peupler son monde à lui, le
meilleur des mondes possibles."
K. MARX Le Capital livre 1 ( 1867 ) Ed.
Sociales 1971
Pour démontrer que la théorie libérale est plus complexe ou subtile qu'elle en a l'air de prime abord, on peut s'appuyer sur 2 auteurs clés : P. de BOISGUILBERT ( 1646-1714 ), et B. de MANDEVILLE ( 1670 ? - 1733 ) et mettre en exergue une filiation primordiale et riche d'enseignements avec le jansénisme.
1. BOISGUILBERT ( 1646-1714 )
Il serait ( selon G. FACCARELLO ), aux origines de la
pensée libérale : l'importance des présupposés jansénistes est ici patente.
En effet, BOISGUILBERT reprend à P. NICOLE (
1625-1695 ), une vision
pessimiste de la nature humaine. Le point de départ est le péché originel qui
conduit à la dérive humaine. L'homme une fois détourné du véritable Amour,
l'Amour de Dieu, se tourne vers l'amour d'autres biens, ce qui le conduit
inexorablement à la violence puisqu'il est en définitive mû par son seul amour
propre, guidé par son seul intérêt.
Toutefois, les hommes demeurant
interdépendants, doivent travailler pour vivre et échanger : d'où problème. La solution est
contenue dans ce mal qu'est l'amour propre. L'homme en vient à faire
appel à la raison et il comprend grâce à elle, que son bien-être privé dépend des autres. Par conséquent chacun
est conscient de donner dans le but de recevoir. Ce n'est donc pas la Charité
qui maintiendrait l'ordre social mais "l'amour propre raisonnable et
éclairé" qui serait le moteur de toute action humaine. La
raison est utilisée par les passions pour que l'homme arrive à ses fins.
Les jansénistes mettent ainsi en relief l'idée de manipulation des passions "il n'y a rien dont on ne tire de plus grands
services que la cupidité même des hommes" ( P. NICOLE ). En somme,
on peut donc dompter les passions grâce aux passions.
Conclusion : On ne trouve ici aucune trace d'ingénuité mais
au contraire une vision
plutôt "déniaisée" de la nature humaine ( à mettre en
relation avec H1 ).
Pour
BOISGUILBERT,
la Nature ( fidèle à une conception divine ) a dicté les lois de
fonctionnement des sociétés et économies, parfaites par essence .L'homme doit avoir
confiance en elles. La société est donc appréhendée comme une belle mécanique,
une machine dont l'horloge est la représentation la plus fidèle ( cf. pensée
de DESCARTES ou NICOLE ). Les parties sont des composantes indispensables dont
le mouvement perpétuel conduit à l'équilibre automatique de l'ensemble par la
seule force naturelle de ces corps.
Mais
seule la machine "Nature" est parfaite ; toute construction humaine
est dangereuse car elle entrave la nature dans son mouvement et cause ipso
facto des déséquilibres. Conséquence, il
est nécessaire de "laisser faire" la nature et non les
hommes, la réalisation de l'équilibre en dépend.
On retrouve ici H1, H2, H3
[5-4
].
Pour BOISGUILBERT, dans la veine d'un DESCARTES ou d'un NICOLE, il est nécessaire de mettre à jour les vérités aussi simples soient-elles afin que chaque personne prenne conscience du fonctionnement de cette mécanique sociale. cf H3 Cependant les jansénistes sont bien évidemment pessimistes quant à la mise à jour de ces vérités. La masse par nature ignorante réagit tels des moutons. Seule une élite peut acquérir ces connaissances.
BOISGUILBERT est favorable à la propriété privée mais ce problème n'est pas un de ses thèmes privilégiés. cf.H4
2. B. de MANDEVILLE ( 1670 ? - 1733 )
Ce médecin hollandais, va faire basculer la réflexion globale de la société dans le champ de l'économie d'une manière spectaculaire en démontrant dans sa fameuse Fable des abeilles que les vices privés conduisent à un bénéfice public.
L'idée fondamentale que MANDEVILLE a mis en relief en son temps fut perçu comme un véritable séisme d'où une diabolisation ( "Man-devil" ) qu'il se fit fort de contrer en usant de divers subterfuges rhétoriques liés à un pseudo-rigorisme. L'idée est la suivante : les actions individuelles échappent dans leurs conséquences aux volontés propres des individus. Dès lors une curieuse et bénéfique alchimie s'opère à savoir que ce qui était jusqu'alors considéré comme des vices privés ( c'est à dire à un niveau individuel ) par la morale idoine ( c'est à dire précisément les "vices"... poussant à la consommation , encourageant les dépenses et stimulant l'activité économique tels que l'orgueil, l'ambition, le luxe, l'envie, l'ostentation…etc en fait les avantages individuels ou l'intérêt, autant de mots qui sentent moins le souffre que le terme de "vice" ) contribuent de facto à l'arrivée, au bien-être ( sous-entendu matériel ) collectif, c'est à dire de la société dans son ensemble.
"
ce que nous appelons le mal…est le grand principe qui fait de nous des créatures
sociales, le fondement solide, la vie, le support de tous les commerces et de
tous les emplois…et au moment où le mal disparaît, la société est nécessairement
altérée, si elle n'est pas complètement détruite ( The fable I p
369 )": "les vices privés(1) peuvent être
convertis en bénéfices publics" "grâce aux manipulations habiles
d'un politicien avisé"
B. de MANDEVILLE La
fable des abeilles ou les vices privés font le bien public
1714
(1) c'est
à dire les
vices poussant à la consommation , encourageant
les dépenses et stimulant l'activité économique tels que l'orgueil,
l'ambition, le luxe, l'envie, l'ostentation…etc ; les autres vices étant des
crimes.
Conclusions révolutionnaires pour l'époque...
Le point de vue économique transforme les vices de jadis en de nouvelles vertus . La quête de l'intérêt économique devient la quintessence de toute passion, elle est de plus, neutre au regard de l'éthique individuelle et socialement bénéfique. Mieux encore, le libre jeu des passions ( autrefois considérées comme nocives ) économiques, devient la meilleure garantie d'ordre social prospère. Lorsque chacun est occupé à rechercher la fortune, une prospérité collective et harmonieuse ne peut que régner.
En somme, les libéraux des origines ne sont donc pas des idéalistes naïfs comme on le trouve souvent écrit, mais au contraire des personnes considérant que la quête individuelle de la richesse est le plus sûr moyen pour la société de contrer les penchants individuels délétères ( violence et autres ).
La leçon de B. de MANDEVILLE sur le sujet "La possibilité de gagner de l'argent et de constituer une fortune peut canaliser certains penchants dangereux de la nature humaine dans une voie où ils sont relativement inoffensifs".
Pour finir, ces thèses des libéraux des premières heures peuvent être opposées à celle de J-J ROUSSEAU ( dont les français sont épris dans leur for intérieur ). Pour ce dernier l'homme est bon par nature et c'est la société qui le corrompt ( cf. J-J. ROUSSEAU dans Discours sur l'origine et les fondements des inégalités parmi les hommes ).
Cette diversité dans l'approche de la Nature humaine sera la source de bien des controverses au plan méthodologique et théorique par la suite en économie et sociologie. ( cf. cours sur la méthode sociologique ).
- FACCARELLO. G Aux origines de l'économie libérale : Pierre de
BOISGUILBERT Anthropos 1986
- LALLEMENT. L
"Economie politique et morale : l'héritage de Mandeville"
In Economies et sociétés série Oeconomia
Histoire de la pensée économique PE
N°18 12/1993
pp. 11-31
Travail possible pour approfondir sur la "ruse de la Raison" cf. J-P DUPUY.
Fort de cette héritage complexe, l'école baptisée "néoclassique" [6] va mettre au point entre 1860 et 1930, l'édifice le plus abouti du courant libéral à savoir le modèle d'Equilibre Economique Général ( EEG ). Celui-ci demeure contre vents et marées, le modèle le plus important en économie comme l'atteste son énorme capacité à générer de nouveaux travaux et le nombre de prix Nobel s'y référant explicitement ou implicitement [21].
II.
Le modèle économique du Marché (
parfait ) : la perfection du virtuel
Réflexions basiques sur les marchés ( comme lieus où s'effectuent les échanges ) réels : émergence du prix sur le marché de votre quartier ( loi de l'offre et de la demande ).
Le libéralisme va trouver en l'économie un chantre capable de lui
donner une légitimité scientifique. Dès lors, les partisans de cette école
de pensée vont se faire fort de construire un modèle
[7]
qui symbolisera la perfection économique : c'est le modèle de l'Equilibre
Economique Général ( EEG ) de Léon
WALRAS ( 1834-1910 ) formidable incarnation de l'harmonie entre
individus rationnels ( dans les années 1950, G. DEBREU ( 1921- ) prix Nobel d'économie 1983, l'a mis en équations
).
La
conception de WALRAS est emprunte du socle philosophique pré-cité ( cf.
supra ). En
effet, pour lui, le rôle de la Raison est d'atteindre par abstraction "les
conceptions métaphysiques de l'universel, de la substance en soi, de l'infini,
du parfait, du nécessaire, de l'absolu, de l'indépendant".( cf. H2,
H3 ).
L'objectif
est la perfection, le chemin est la raison et les moyens en sont les idées qui
prennent une connotation normative puisque "l'idéel" rejoint
"l'idéal".
Toutefois, les hypothèses philosophiques du socle libéral vont
se trouver restreintes pour cause de fonctionnalité du système (
le modèle étant basé sur de la mécanique newtonienne fonctionnant à base de
systèmes simples ). Les agents ( H1 ) sont désormais définis selon des critères euclidiens : "producteurs"
ou "consommateurs". De plus, du concept de "raison", les économistes
vont basculer vers un de ses sous-produits "la
rationalité" ( car "raisonnable" n'est pas "rationnel" cf. J. RAWLS ) réduite par la théorie libérale contemporaine à
un calcul stratégique visant pour l'individu à maximiser les avantages
et minimiser les coûts de toute action. Ainsi, le but unique de toute existence
( désormais vidée de toute idiosyncrasie ) serait de maximiser ses plaisirs (
c'est à dire son utilité, ou ses bénéfices ) et minimiser ses peines ( sa désutilité,
ou ses coûts ) selon la philosophie de Jérémy
BENTHAM ( 1748-1832 ), le père
de l'utilitarisme ( cf. chapitre sur la méthode sociologique ).
Approfondissement
Il convient ici de ne pas
s'en tenir aux idées préconçues concernant l'utilitarisme, qui ont tendance
à le balayer d'un revers de main sans même le connaître. Un exemple parmi tant
d'autres : pour
les utilitaristes, la notion de plaisir ne tient pas uniquement compte des
plaisirs de l'estomac ( comme on l'entend souvent ), mais aussi de ceux de
l'esprit ; elle est donc éminemment large.
"Soutenir que Mill et Bentham ne prêtent attention à aucune source de
plaisir autre que celles qui sont visibles et tangibles est une des
déformations les plus flagrantes qui ait jamais été faites... le principe
d'utilité prend en compte tous les ingrédients dont est composé le bonheur
humain" James MILL
Pour
une mise au point lumineuse sur ces questions, consulter le livre de F. VERGARA
Les fondements philosophiques
du libéralisme La Découverte 2002.
Pour trouver
un réquisitoire contre J. BENTHAM, consulter le livre de B
MARIS Des économistes au dessus de tout soupçon
Albin Michel 1990
A.
Le
calcul rationnel du consommateur ( individus, ménages )
Le consommateur
rationnel
[8] par
construction, est un homo oeconomicus c'est à dire un agent qui n'a de cesse de maximiser son utilité (
en achetant les biens qui lui procurent le maximum de satisfaction,
conformément à ses fins ), mais qui
est contraint par le budget qu'il possède. Il procède par des calculs stratégiques
( coûts-avantages ) à la marge : il va ainsi calculer et hiérarchiser l'utilité que lui
procurerait la consommation d'une unité de bien supplémentaire ( utilité
marginale [9],
pondérée par les prix, précisément cf. module ) et faire des choix ( en fonction de ses
préférences ).
Réflexion
sur la notion de coût d'opportunité..
Selon l'école néoclassique qui va au fil du temps s'appuyer sur la
notion de "courbe d'indifférence" [10],
c'est au point dit de "l'équilibre
du consommateur"( point d'intersection entre la courbe d'indifférence
la plus élevée et la droite de contrainte budgétaire ) que le consommateur va
maximiser son utilité ( choix optimal ). Cet équilibre est
subordonné à l'évolution des prix des biens et au
revenu du consommateur. Plus précisément,
pour chaque consommateur, il existe une relation inversement proportionnelle
entre le prix des différents biens et les quantités demandées ( élasticité
de la demande par rapport au prix, négative en règle générale [11]
) : c'est
la courbe
de demande individuelle.
Par simple agrégation des demandes individuelles, on obtient la demande de marché qui est une fonction décroissante du
prix. Cette relation entre les prix et les quantités demandées est déterminée
par l'effet-prix. Lorsque l'un des déterminants de la demande, autre que
le prix, varie ( préférence des consommateurs, prix des biens
substituables...), la courbe de demande se déplace.
Réflexion sur :
histoire de l'utilité, utilité marginale, décroissance de l'utilité
marginale, courbes d'indifférence, optimisation…
B. Le calcul rationnel du producteur
Le producteur ( très souvent
l'entreprise considérée comme une "boîte noire" puisque tout
réside dans la "forme" Marché ) fabrique des biens
et des services ( outputs ou extrants ) à partir de divers facteurs de
production ( travail, capital, terre…qualifiés d'inputs ou d'intrants
) achetés sur les marchés des facteurs, et de l'état des techniques (
fonction de production ). Tout aussi rationnel que le consommateur, il a comme
but, de maximiser ses profits en
trouvant la combinaison productive optimale ( en cherchant par
exemple à minimiser ses coûts de
production ).
Cependant il doit tenir compte
des prix du Marché dont il n'est pas maître [12],
car fixés par le jeu de l'offre et de la demande ( voir infra ).
Le profit correspond donc à la formule suivante :
profit = recettes - coûts de production |
1.
L'optimum
du producteur
a. les coûts
de production
Les
coûts de production se divisent en :
i) coûts globaux
-
les coûts fixes
: ce sont les dépenses engagées
par l'entreprise qui demeurent identiques quelle que soit la quantité produite;
c'est un minimum incompressible (exemple : loyers ).
- le coût total est la somme des coûts précédents.
ii) coûts unitaires
Pour obtenir le prix de
revient d'un produit, il faut en calculer les coûts unitaires. Tout d'abord les
coûts moyens s' obtiennent en divisant les coûts globaux par la quantité
produite.
Coût total moyen ( CTM ) = CT / q
Coût fixe moyen (
CFM ) = CF / q
Coût variable moyen ( CVM ) = CV / q
Enfin
le coût marginal correspond au supplément
de coûts engendré par la production d'une unité supplémentaire. Ex : si les
quantités produites passent de q à q' : Coût marginal ( Cm ) = CTq'-CTq
/ q'-q
ou
D CT / Dq
Par
conséquent, pour la première unité produite, le coût marginal est égal au
coût variable moyen.
Exercice
d'application
Pour comprendre la notion de dérivée : tracer la courbe de coût marginal à partir de la courbe de
coût total.
b. La notion de recette
L'entreprise vend sa production au prix du Marché, c'est la notion de
recette : recette totale ( RT = prix de vente x quantités vendues ). Ce
prix du Marché correspond à la fois à sa recette
moyenne ( puisque c'est ce que rapporte en moyenne chaque unité vendue
RM = RT/q), et sa
recette marginale ( puisque c'est ce que rapporte la dernière unité vendue
Rm= DRT ).
c. le profit et l'optimum de l'entrepreneur
Le profit global correspond aux recettes moins le coût total.
Profit
moyen = p - CTM
Profit additionnel
ou "marginal"
= p-Cm
L'optimum du producteur est la quantité de production qui procure le profit
maximum ( ou le minimum de pertes ). L'entreprise fait du profit tant que le
prix de vente est supérieur au coût total moyen.
En
concurrence pure et parfaite, l'entreprise atteint son optimum lorsque le coût
marginal est égal au prix.
Profit maximum : Cm = p |
2.
La courbe d'offre
D'une
façon générale, les marginalistes considèrent
que les coûts de production varient proportionnellement en sens inverse de la
productivité, donc le coût marginal est d'abord décroissant puis croissant à
partir d'un certain seuil de production.
Réflexion sur :
la notion d'économies d'échelle, de déséconomies d'échelle, de
rendements d'échelle…
C. La notion d'Equilibre
Economique Général en concurrence pure et parfaite
( CPP )
Offreurs et demandeurs poursuivant leurs fins propres qui divergent, se rencontrent sur un lieu théorique que l'on nomme le Marché où le prix viendra dénouer la confrontation, mais ce, selon des postulats bien précis, qui viennent se surajouter aux conditions précitées
1. "Hypothèse, vous avez dit hypothèse…"
a.
Les hypothèses de la concurrence pure
-
L'atomicité de l'offre et de la demande
: les agents économiques ont une taille tellement réduite et
sont tellement nombreux sur le Marché, qu'ils ne peuvent en aucun cas, de façon
autonome, influer sur les prix et quantités échangées. Il n'y a ni entreprise
dominante, ni possibilité d'entente entre les différentes entreprises, ou
consommateurs. Les prix étant entièrement déterminés par le fonctionnement des marchés,
tout agent est en situation de "price taker" c'est à dire de "preneur
de prix".
-
L'homogénéité du produit ( ou du facteur ) : le consommateur doit être incapable de différencier les
produits, en fonction de l'entreprise qui les fabrique ; par conséquent, il est
interdit à une entreprise de se distinguer de ses concurrents par des moyens
tels que la publicité, l'utilisation de marques ou autre. Pour L. BAUDIN, "Le seul
sourire de la vendeuse suffit à faire échec à la concurrence".
On peut ajouter
ici, que la jouissance des biens et services est privative : il y a divisibilité de l'usage, excluabilité, rivalité
[13].
-
La
fluidité
[14]
du Marché : quiconque
veut formuler sur le Marché, une offre ou une demande en a la possibilité,
sans coût ni délai : l'entrée et la sortie du Marché sont libres.
Cela signifie que les quantités échangées et les prix sont libres ( absence
de quotas, de contingentement, de rationnement… absence aussi de rigidités
tels que les cartels, ou les intrusions de l'Etat…).
b.
Les critères de concurrence parfaite
-
La
transparence du marché
[15]
: tous
les agents économiques doivent pouvoir accéder à toutes les informations
disponibles, en particulier avoir la possibilité de connaître tous les prix
qui cristallisent l'information ( parfaite et gratuite).
2. L'Equilibre Economique Général
: "le seul, l'unique…ou....l'inaccessible
??
"
Il
existe un marché pour chaque type de biens ou de services
( travail, capital etc… ).
D'un Equilibre partiel ( équilibre sur un seul marché, "toutes
choses égales par ailleurs"
[17]
chez MARSHALL
[18]
), la conception
walrassienne aboutit à un Equilibre Economique Général ( EEG ) : état d'Equilibre
sur tous les marchés satisfaisant tous les agents.
Depuis V. PARETO, cet EEG est même devenu un optimum d'ophélimité, c'est à dire que c'est une situation dans
laquelle la situation d'un agent ne peut être améliorée sans dégrader celle
d'un autre [20].
Approfondissement
Si l'on se base sur les écrits de WALRAS, on tombe sur des lignes qui précisent les pensées de l'auteur loin de ce que l'Histoire en a retenu.
Ainsi en va-t-il du concept d'Equilibre : il convient ici de spécifier que l'équilibre est
avant tout un processus, c'est à dire ni une tendance linéaire, ni
même une tendance asymptotique, mais une tendance sans cesse remise en question
par les propres résultats qu'elle engendre : "Tel
est le marché permanent, tendant toujours à l'équilibre sans y arriver
jamais, pour la raison qu'il ne s'y achemine que par tâtonnements, et qu'avant
même que ces tâtonnements soient achevés, ils sont à recommencer sur
nouveaux frais, toutes les données du problème [...] ayant changé"
L. WALRAS Eléments d'économie politique pure 1874
En somme, ce n'est pas parce que les conditions de la libre concurrence ne sont pas réunies que l'on ne peut parvenir à l'équilibre mais en raison du fonctionnement intrinsèque de la libre concurrence.
Dans la même veine, il convient de rappeler que
l'apport de WALRAS à l'économie ne se limite pas son
économie pure, il existe aussi
son économie appliquée.
Dans le manuscrit "L'Etat et les chemins de
fer" ( 1875 ), il justifie même l'intervention de l'Etat.
Sur un autre plan, la figure du commissaire priseur
a rendu possible nombre de digressions et d'extrapolations y compris à tendance
planificatrice.
Réflexion
: les marchés financiers, le marché du travail…
III.
Les leçons très pédagogiques des écoles libérales
Les soubassements qui constituent le socle de la pensée libérale quoique parfois oubliés, continuent pourtant à exister parce qu'intégrés dans la substance même des analyses les plus récentes, et dans les présupposés des décideurs, politiques ou autres.
"Les idées, justes ou fausses, des philosophes de l'économie et de la politique ont plus d'importance qu'on ne le pense en général. À vrai dire, le monde est presque exclusivement mené par elles. Les hommes d'action qui se croient parfaitement affranchis des influences doctrinales sont d'ordinaire les esclaves de quelque économiste passé".
WALRAS en raison d'une vision appauvrie de la dialectique hégélienne comme négation de la contradiction et non contradiction de la contradiction ( symptomatique de la pensée française du 19ème siècle ) a eu tendance à assimiler l'idéel et l'idéal. En ce sens, l'analyse des néoclassiques a une dimension normative évidente c'est-à-dire qu'elle n'explique pas comment fonctionne concrètement la réalité ( dimension positive ), mais elle explique comment la réalité devrait fonctionner pour être aussi parfaite que le modèle.
Dès lors, la finalité de la pratique sociale est de rapprocher la réalité du modèle i.e de l'idéal de la perfection.
Auréolés de différents
prix Nobel d'économie
[21]
les économistes libéraux en tant que "conseillers des princes"
[22],vont édicter
toute une série de mesures à appliquer pour rendre la réalité conforme au
modèle mathématique ( et à ses hypothèses ) : en l'absence d'alternative,
cette pensée est désormais qualifiée de "pensée unique".
Pour ces derniers, le Marché,
symbole de l'harmonie de l'ordre naturel, permet d'utiliser de façon
optimale, efficiente, toutes les ressources rares disponibles dans l'économie :
il conduit ainsi le système économique à la frontière des possibilités de
production. Dès lors, la vulgate libérale estime que cet ordre doit recouvrir
tous les secteurs de la vie économique et sociale à l'exception de trois
domaines essentiels ( à faire reposer dans les mains de l'Etat ), que
sont la justice, la police, la défense [23]
( voire les infrastructures et un minimum d'éducation [24]
) : cet Etat
minimal se dénomme l'Etat-Gendarme (
idéal type dont la Grande-Bretagne du 19ème siècle se rapproche le
plus ). Dans cette optique, l'Etat doit proscrire tout budget déséquilibré
( donc, gérer l'argent comme un
"bon père de famille" ), procéder à une réduction des déficits
publics ( pensons aux critères de Maastricht ), des impôts, à une éradication de
l'inflation…
Selon les libéraux, il ne faudrait jamais entraver le libre jeu du marché : toute intervention extérieure introduit des rigidités obligatoirement néfastes ( ou sous-optimales ) pour la société ( pour P. SALIN, le SMIC est au nombre de ces rigidités ).
L'Equilibre sur le marché du travail
Les implications d'une telle
logique sont de vouloir donner ou redonner, au Marché, en privatisant, tout ce
qui appartient à l'Etat et qui ne fait pas partie de ses prérogatives "attitrées"
; dans un premier temps cela recouvre les entreprises publiques
( pour la France 1986 : St Gobain, 1987 : TF1, Paribas, Société
Générale..., 1994 : Elf-Aquitaine 1996 : AGF…la liste n'est pas finie...
dans le futur EDF ??? La Poste ??? ) mais à terme, cela touche aussi
le domaine de la santé ( hôpitaux, remboursement des soins…), des retraites
( fonds de pension ), de l'éducation ( cf. M. FRIEDMAN
)…
L'archétype de cette logique nous a été fourni par Mme THATCHER
qui
mit en œuvre au Royaume-Uni le plus vaste programme de privatisations de
l'histoire : ainsi le poids des entreprises publiques est-il passé de 10,8% du
PIB en 1980 à 2,9 % en 1990.
Pour
pousser plus loin encore l'investigation dans l'ultra-libéralisme, on peut
aller jusqu'aux libertariens.
Un libertarien
comme M. ROTHBARD (
1926-1994 ), propose ainsi, entre autres de privatiser toutes les rues et de créer un
marché des enfants considéré comme d'un "humanisme supérieur"
( sic ) ( cf. M. ROTHBARD L'éthique de la liberté Les
belles lettres 1991 ).
Si
de tels principes semblent rebutants d'un point de vue moral, il est étonnant
de voir à quel point
ils tendent à imprégner le discours ambiant de tout quidam de facto.
Citons pour exemple la logique de "victimisation"
que met en avant R. NOZICK ( ex- ou semi-libertarien c'est selon ) et qui est en train de s'imposer de fait,
dans les rapports entre les quasi-communautés aux Etats-Unis, voire dans le
monde ( pensons à la conférence de DURBAN ).
Cumuler des signes victimaires confère, voire devient le garant, de certains droits sociaux.
L'exemple
de Loft Story nous ramène d'un autre côté à la vacuité de la relation de couple dans le champ
libertarien, conçue comme simple échange de services, c'est à dire in fine
à des prix.
Réflexion
: les écoles libérales contemporaines : points communs, divergences,
implications…
* Les monétaristes : ex : M. FRIEDMAN ( cf.
cours sur la monnaie
; voir en particulier les politiques monétaires ).
* La
nouvelle école classique ou école des anticipations rationnelles : ex : R.
LUCAS ( cf. cours sur la monnaie ; voir en particulier
les politiques monétaires
).
* L'économie
de l'offre ou "supply side economics" : A. LAFFER
et G.
GILDER
*L'école
des choix publics dite du "Public choice" : J. BUCHANAN
*
Les libertariens : M. ROTHBARD
B. les avancées récentes de la théorie
En matière de théorie, on assiste à 2 mouvements qui, si l'on n'est pas un vitaliste convaincu, peuvent apparaître contradictoires..
* D'un côté, on assiste à la récusation de l'intérieur, du bien fondé de certaines hypothèses du modèle néo-classique : on peut citer pour exemple...
-
L'atomicité remise en cause, avec la théorie des marchés
contestables [ BAUMOL, WILLIG, PANZAR 1982 ]
: une
situation dans laquelle un petit nombre d'entreprises ( monopole,
oligopole...) offre un bien, peut être efficiente à la condition expresse que l'absence de barrière
à la sortie ( donc à l'entrée ) soit maintenue. Car la
menace d'un entrant potentiel/virtuel sur un Marché poussera l'entreprise en place à
pratiquer des prix équivalents à ceux de la CPP, d'où aucun profit anormal
possible.
Le monopole n'est donc pas forcément inefficient.
- la transparence en question : H. SIMON va, quant à lui, remettre en cause le caractère d'omniscience de l'individu pour lui attacher non pas une rationalité substantive mais une rationalité limitée.
Certaines remises en question des hypothèses libérales viennent aussi des théoriciens de la croissance endogène : P. ROMER, R. BARRO, R. LUCAS, qui remettent en selle le rôle positif de l'Etat dans la croissance par une intervention structurelle ( externalités positives ).
* Ces remises en cause semblent de surface uniquement, dans la mesure où le coeur de la théorie demeure inchangé et où le socle philosophique se voit sans cesse renforcé.
H1.
L'économie s'estime désormais en droit d'investir tous les domaines de la vie, de ramener toutes
les valeurs aussi incommensurables soient-elles, à de purs calculs individuels
coûts-avantages s'agrégeant à l'aune de la loi de l'offre et de la demande.
G.
BECKER est le
héraut de cette vision. Il clame à qui veut l'entendre ( et son prix
Nobel le prouve, il est entendu !! ), que tout peut être analysé en termes de comportement rationnel et de
Marché : la famille, le mariage, le nombre d'enfants, les partis politiques, le crime… .
Si l'on se fie à cette idée, la vie humaine est devenue unidimensionnelle. Le ressort de toute action serait
mis à nu, ou pour le dire autrement toute subtilité de l'activité
humaine peut être ramenée à un dénominateur commun qui comble d'ironie est
une hypothèse de base de la vision libérale ( logique de la pyramide inversée, une hypothèse de base minime,
peut tout
expliquer ).
H2.
Sur la Raison. Avec la théorie des Anticipations rationnelles dont le
tenant le plus connu est R.LUCAS, on assiste à une tentative de ramener la réalité au
modèle, par le biais de la notion de prophétie auto-réalisatrice ( Cf. R-K. MERTON
). Puisque les
agents anticipent la réalité aussi bien que le modèle ( qui rappelons-le est
quasi-parfait ) alors ils créent la réalité à l'image du modèle.
L'avenir
va donc se conformer au modèle, le futur est revenu nolens volens
dans le champ du rationnel, du moins sur le papier.
De plus, selon
E. PHELPS, ces mêmes anticipations rationnelles ont été élevées au rang de
postulat du modèle NC, par une sorte de circularité troublante.
Approfondissement
Pour se convaincre de la difficulté de rationaliser le présent et donc le
futur : on peut...
-
lire l'ouvrage d' Oskar MORGENSTERN Précision et
incertitude des données économiques (
1950 ) Dunod 1972
Réflexion possible sur l'histoire des anticipations : prévision parfaite, anticipations adaptatives ( M. FRIEDMAN ), anticipations rationnelles ( R. LUCAS ), mais aussi anticipations irrationnelles, extrapolatives dans d'autres modèles...
H3. La dérive scientiste de l'économie est aisément perceptible. Nul n'est
besoin d'être un observateur averti pour comprendre le rôle sans cesse
croissant pris par les modèles mathématisés. Il n'y a pour s'en convaincre
qu'à ouvrir un livre de R. BARRO, ou une revue spécialisée telle que la Revue
Economique.
On en revient au mythe fondateur de la mécanique newtonienne : celle de l'exploration
d'un monde rationnel, harmonieux, dont les caractères fondamentaux sont
supposés
clos et définis par les concepts de causalité, stabilité, déterminisme, légalité
et perfection. L'ensemble rendu nécessairement appréhendable par les mathématiques.
H4.
La propriété : avec la théorie des droits de propriété, quelques
auteurs ( ALCHIAN, BARZEL )
nous
expliquent que si on garantit les droits de propriété ( avec leurs corollaires,
libre transfert et autres ), la société
sera conduite vers la situation la plus appréciable.
"La théorie
des droits de propriété se propose de montrer comment différents types et
systèmes de droits de propriété agissent sur le comportement des agents
individuels et par là sur le fonctionnement et l'efficience du système
économique, et comment dans une économie ou les rapports contractuels entre
agents sont libres, le type et la répartition des droits de propriété qui
assurent l'efficience la plus grande tendent à s'imposer". [ CORIAT 1995
]
Ce mode d'analyse peut s'appliquer au cas de l'esclavage, au génome humain ( avec la notion de brevet ) et pourquoi pas à terme à l'air pur ( permis de polluer négociables ). "les droits de l'homme sont simplement une partie des droits de propriété". BARZEL
On peut se demander pour
finir si le
modèle néo-classique n'est pas un paradigme ( au sens de T. KUHN ) sur le déclin,
puisque ses troupes reviennent sur certaines hypothèses clés... ou alors au
contraire... s'il
n'est
plus un paradigme, dans la mesure où il est tellement diversifié désormais qu'il peut
rendre compte de toutes les faces et interstices de la vie sociale ( Y. CROZET ).
On peut aussi avancer l'hypothèse que ce modèle tourne tellement en rond, qu'il n'est
plus "réfutable" ( au sens de K. POPPER ) auquel cas il
deviendrait une profession de foi qui sortirait du champ scientifique.
Conclusion
La théorie prônant le Marché aujourd'hui sans adversaire véritable ( car aucun système n'a pu soutenir son efficacité ), impose un nouvel ordre économique mondial, qui ébranle les structures et institutions héritées de la politique keynésienne d'après-guerre, mais aussi les bases de la morale chrétienne vieille de quelques siècles, dont elle est extraite et soumet nos sociétés à des enjeux de type existentiel.
"Le
monde moderne est plein d'idées chrétiennes devenues folles" BERNANOS
[25 ]
Livres
Conseils
de lectures pour les élèves sur le sujet
en n°1. GUESNERIE. R
L'économie de marché
( 1996 ) Dominos
Flammarion 2000
en n°2 SAMUELSON. P-A et NORDHAUS. W Micro-économie ( 1992 ) Ed.
d'organisation 14è Ed. 1997
- BASLE. M et
alii
Histoire des pensées économiques : les fondateurs
SIREY Fév
1988
- BEITONE et alii
Economie Sirey 2001
- BERAUD. A et FACCARELLO. G Nouvelle histoire de la pensée
économique Tome 1 La Découverte 1992
- BOSSERELLE. E
Les courants économiques et leurs enjeux
Top éditions mars
1998
- CORIAT. C et WEINSTEIN. O Les nouvelles
théories de l'entreprise Livre de poche 1995
- DI RUZZA. F Essai
sur l'histoire de la théorie de l'Equilibre Economique Général
Thèse GRENOBLE 1976
- DI RUZZA. R Eléments d'épistémologie pour
économistes PUG 1988
- DI RUZZA. R Histoires, savoirs et pouvoirs en économie
politique Etudes et documents économiques 1990
- DOCKES. P et POTIER. J-P Léon WALRAS
Oeconomica 2001
- DUPUY. J-P
Le sacrifice et l'envie ( 1992 ) Calmann-Lévy 1996
- DUPUY. J-P
Introduction aux sciences sociales Ellipses
1992
- DUPUY. J-P
Ethique et philosophie de l'action Ellipses 1999
- GILDER. G Richesse et
pauvreté Albin Michel 1981
- ECHAUDEMAISON C-D. ( dir ) L'économie
aux concours des grandes écoles de commerce Nathan 1996 et
2000.
- FACCARELLO. G Aux origines de l'économie libérale : Pierre de
BOISGUILBERT Anthropos 1986
- GODELIER. M
Rationalité et irrationalité en Economie
Economie et socialisme 1966
- GUESNERIE. R
L'économie de marché
( 1996 ) Dominos
Flammarion 2000
- GUILLEBEAUD. J-C
La refondation du monde (
1999 ) Points Seuil 2000
- KEYNES. J-M La
pauvreté dans l'abondance Gallimard 2002
- LONGUET. S
Hayek et l'école autrichienne
Circa Nathan
1998
- MARIS. B Des économistes au-dessus de tout
soupçon Albin Michel 1990
- MICHEL. R La pensée contemporaine
: les grands courants 4è
Ed Chronique sociale de
France Mars 1990
- PASSET. R L'illusion néo-libérale ( 2000 )
Champs Flammarion 2001
- PICARD. P Eléments de microéconomie Montchrestien
1998 5è Ed.
- SAMUELSON. P-A et NORDHAUS. W
Micro-économie ( 1992 ) Ed.
d'organisation 14è Ed. 1997
- SCHOOYANS. M
La dérive totalitaire du libéralisme Ed. universitaires
Oct. 1992
- SCHOTTER. A Microéconomie
( 1994 ) Vuibert 1996
- SMITH. A Recherches sur la nature et les causes de la richesse
des nations ( 1776 ) GF- Flammarion 1991
- SMITH. A Recherches sur la nature et les causes de la richesse
des nations ( 1776 )
Oeconomica 2000
- VERGARA. F Les fondements philosophiques du
libéralisme La découverte 2002
Articles
- DEFALVARD. H
"La main invisible : mythe et réalité du marché comme ordre
spontané" Revue
d'économie politique N°6
1990 pp. 870-883
- DUPUY. J-P
"L'Economie de la morale, ou la morale de l'Economie" Revue
d'Economie Politique 1978
pp. 404-439
- LALLEMENT. J
"Economie politique et morale : l'héritage de Mandeville"
In Economies et sociétés série Oeconomia
Histoire de la pensée économique PE
N°18 12/1993
pp. 11-31
- PHELPS. E " Marchés spéculatifs et
anticipations rationnelles" Revue
française d'économie été
1987 p. 10-25
- "Découverte de la
microéconomie" Cahiers français jan-fév
1992
- Articles divers de la revue sciences humaines...
[1]
SMITH ( Adam Smith
Institute, Adam Smith
web site ) n'était-il pas professeur de philosophie et d'économie aux
universités d'Edimbourg puis de Glasgow. On peut se référer aux
multiples casquettes de penseurs, comme LOCKE,
MARX, HUME, KEYNES...et ou à
la fascination évoquée par B. MARIS, des
économistes pour la psychologie (
cf. B. MARIS Keynes ou l'économiste citoyen
Presses de sciences po 1999 )
[2] Il aura fallu une thèse à R. DI RUZZA pour
expliquer que ce qui était intrinsèquement important chez WALRAS,
n'était pas en soi sa "technologie"
( autrement dit sa formalisation à outrance ) mais sa philosophie ou
plutôt sa "représentation de la réalité" qu'il se
contentait d'appliquer à l'économie. retour
au cours
[3] "Partir des individus considérés comme libres de
toute attache sociale, et voir dans la société la résultante de leurs
comportements".retour
au cours
[4] "Les lois de la nature sont aussi celles de la raison".retour
au cours
[5] Ici on comprend mieux l'engouement extraordinaire que
suscitent les mathématiques chez les économistes de la théorie néoclassique.
retour
au cours
[5
bis] KEYNES récuse cette thèse. Sur cette
question fort controversée consulter ses écrits "La fin
du laisser faire" La pauvreté dans l'abondance Gallimard
2002 p65-...
"La maxime laisser-nous faire est traditionnellement attribuée
au marchand Legendre s'adressant ainsi à COLBERT, vers la fin du
XVIIè siècle. Mais il ne fait aucun doute que le premier écrivain à
utiliser la formule, et à l'utiliser en parfaite relation avec la doctrine
fut le marquis d'Argenson vers 1751. [...] la tradition qui les associe aux
physiocrates, en particulier à GOURNAY et à QUESNAY, trouve
peu d'appuis dans les écrits de cette école, même si ces membres furent,
à l'évidence, des partisans de l'harmonie essentielle des intérêts
individuels et de l'intérêt général." p.65-66
retour
au cours
[5-3 ] "En dirigeant ( son ) industrie de manière que son produit
ait le plus de valeur possible, ( l'entrepreneur ) ne pense qu'à son propre
gain ; en cela, comme dans beaucoup d'autres cas, il est conduit par une main
invisible à remplir une fin qui n'entre nullement dans ses intentions ;
et ce n'est pas toujours ce qu'il y a de plus mal pour la société, que
cette fin n'entre pour rien dans ses intentions" A. SMITH La
richesse des nations cf. Bibliographie. retour
au cours
[5- 4]
On retrouvera cette thématique au 20è siècle avec des
auteurs comme FRIEDMAN ou certains partisans des Anticipations rationnelles qui
valorisent la "norme" dans le domaine monétaire, mais pas celle du politique, celle
d'une
transcendance.
retour
au cours
[6] Fondateurs de ce courant C. MENGER ( 1840-1921 ), L.
WALRAS ( 1834-1910 ), S. JEVONS ( 1835-1882 ) ; autres auteurs à
connaître A. MARSHALL ( 1842-1924 ), V. PARETO ( 1848-1923 ),
A.C PIGOU ( 1877-1959 )...retour
au cours
[7] les modèles économiques sont des expressions condensées, généralement
sous forme d'équations, d'une théorie. retour
au cours
[8] Rationalité instrumentale : on peut citer l'exemple de G.
BECKER : si j'ai froid aux pieds, la rationalité économique me pousse
à acheter des chaussettes plutôt qu'un bateau. retour
au cours
[9] L' utilité marginale d'un bien est l'accroissement
d'utilité ajouté par la consommation d'une unité supplémentaire du bien,
les quantités consommées des autres biens étant inchangées. retour
au cours
[9
bis] cité par
J-P DUPUY dans Introduction
aux sciences sociales
Ellipses 1992
p. 67 retour
au cours
[10] Utilité ordinale ( on suppose que le consommateur
classe simplement des ensembles de biens selon la satisfaction qu'ils lui
procurent ) remplaçant l'utilité cardinale ( utilité est
mesurable ). retour
au cours
[11] Il existe des cas particuliers où l'élasticité de la
demande par rapport au prix peut-être positive : biens de type GIFFEN (
"paradoxe de GIFFEN" Sir Robert GIFFEN avait
observer durant la famine des années 1850 en Irlande, que les paysans
augmentaient leur consommation de pommes de terre, alors que le prix de
celles-ci était à la hausse ), dans le cadre de phénomène de snobisme (
art, bijoux..), en cas de spéculation à la hausse, lorsqu'un bien est
remplacé par un autre plus apprécié ( CD remplace le vinyle...).
retour
au cours
[12] On dira que l'entreprise est "price taker"
: preneuse de prix. retour
au cours
[13] un bien consommé par un acteur A ne peut profiter à un
acteur B, qui est donc exclu de l'usage du bien et se trouve sur le marché
le rival de A. retour
au cours
[14] le contraire étant la viscosité. retour
au cours
[15] Le contraire étant l'opacité. retour
au cours
[16] "main invisible" pour SMITH ( Adam
Smith Institute, Adam
Smith web site ), rôle
du commissaire priseur et des tâtonnements pour WALRAS.
retour
au cours
[17] "ceteris paribus"
en latin. retour
au cours
[18]
MARSHALL n'envisage pas l'ensemble des marchés mais il porte son
attention sur un seul marché en faisant abstraction de son environnement économique.
Ceci n'est possible que si l'on postule la constance de cet environnement. A
cet effet, il utilise la clause ceteris paribus, c'est à dire
"toutes choses égales par ailleurs" aux termes de laquelle
dans son analyse, les goûts, les techniques et les revenus restent
constants. retour
au cours
[19]
[20] "Les membres d'une collectivité jouissent, dans une
certaine position, du maximum d'ophélimité, quand il est impossible
de trouver un moyen de s'éloigner de très peu de cette position, de telle
sorte que l'ophélimité dont jouit chacun des individus de cette
collectivité augmente ou diminue. C'est-à-dire que tout petit déplacement
à partir de cette position a nécessairement pour effet d'augmenter l'ophélimité
dont jouissent certains individus, et de diminuer celle dont jouissent
d'autres : d'être agréable aux uns, désagréable aux autres"
V. PARETO
Manuel d'économie politique 1906
retour
au cours
[21] M. FRIEDMAN (1976 ), G. DEBREU (1983),
G.
BECKER (1992), R. LUCAS
(1995)…retour
au cours
[22] En France, nous avons le trio, A. MINC, J. ATTALI
et G. SORMAN. retour
au cours
[23] Ces 3 fonctions sont appelées des fonctions "régaliennes"
.retour
au cours
[24] Cf. A. SMITH ( Adam
Smith Institute, Adam
Smith web site ). retour
au cours
[25
] Cf. R.GIRARD cité par J-P. DUPUY dans Ethique
et philosophie de l'action . retour
au cours
mis à jour 08/2002
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